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Souvenirs d'un Sous-Préfet de Mauriac Essai Un coup de foudre Sommaire la beauté du Cantal et le charme de Mauriac la basilique romane 2000 ans d'histoire le collège des Jésuites la sous-préfecture de Mauriac la sagesse des mauriacois le métier préfectoral Augustin Chauvet Georges Pompidou à Mauriac Jacques Chirac
Pourquoi
en septembre 1970 solliciter
après
la direction de cabinet du
Préfet de la Corrèze la
Sous-préfecture de
Mauriac, dans le Cantal voisin,
admirée lors de promenades dominicales ? Sans doute
une
intuition, une
envie subite et irréfléchie
d’indépendance,
un appel ? Quoiqu’il en soit,
l’affectation était prononcée en
décembre. La
nature est superbe. C’est le travail du paysan, acteur
infatigable et
merveilleux du paysage, qui construit la beauté des sites.
Sans
ses immenses
pâtures entre les bois, avec les contrastes de couleur, les
séparations nettes
entre les parcelles, le Cantal perd son attrait. Tout est entretenu,
soigné.
Dans le Cantal plus qu’ailleurs, l’observateur
prend
conscience que les
paysages sont artificiels, modelés par l’homme et
qu’ils sont beaux parce qu’on
n’a pas laissé faire la nature. La nature est
sacrée mais elle peut être
désordre, taillis touffus
généralisé et
amas
d’arbres morts. Le relief
montagneux grandiose, sans cesse différend et
tourmenté
par le volcanisme,
bouleversé par l’action des glaciers et la
puissance de
l’érosion, eau et vent,
est unique en France. Les pics de roche dure, abondent et donnent un
spectacle
de chaos sur le pourtour du volcan
écrêté par la
pluie et le vent, incessants
ici. Par moment la nature ressemble à un décor de
théâtre, tant elle est
curieusement irréelle. Elle est œuvre
d’art.
L’hiver, l’alliance du ciel, d’un
bleu soutenu et des champs enneigés en altitude, procure une
douce ivresse. Au
loin, des montagnes blanches se
découpent dans l’azur et vous appellent
à les
rejoindre. Hic et nunc. L’air est
sec, tonique, pur. Quelle différence avec Paris
où le
ciel est toujours grisâtre
et l’odeur d’essence permanente. Le
Cantal,
c’est l’Arcadie de
Virgile : « Heureux qui a pu
connaître les
principes premiers
des choses. Heureux qui a foulé aux pieds toutes les
craintes et
l’inexorable
destin… et bienheureux l’homme qui
révère
les dieux des champs ». Comment
ne pas penser aussi dans les monts du Cantal au tableau de Poussin, les
bergers
d’Arcadie et à son inscription
mystérieuse
« Et in Arcadia Ego ». La
nature nous parle. Poésie de la terre disait Renan. Dans
chaque
habitant, un
berger philosophe. Ce pays a une âme. Il a su garder ses
traditions et son
style de vie. La société dite moderne
n’y a pas
déversé sa vulgarité et son mal
vivre. Les gens sont heureux. Grâce au maintien de la
famille,
cet ultime
rempart des civilisations, matrice des sociétés,
les
usages anciens y ont
encore cours ainsi que les règles de la
société
française. Le monde ancien, ici
seulement, n’est pas mort ! A Mauriac, j’ai été pris sous le charme. La place de l’église et de l’hôtel de ville, m’a envoûtée. La rangée de maisons anciennes du fond est digne d’une ville d’art. Les rues qui en partent à droite, rue Marmontel puis Bd Montyon et à gauche vers le Collège et la Sous-Préfecture, ont de belles façades du 18ème et un charme particulier. L’hôtel de ville avec ses pierres sombres issues de l’ancienne église Saint-Pierre du monastère rasée après 1820, possède un caractère austère et élégant avec ses arcades, les encadrements de fenêtres et sa toiture agrémentée. le Collège des jésuites Il y a aussi, pour amplifier le coup de foudre, cette géographie de Mauriac, en bout de planèze volcanique, sur un rebord abrupt, ce qui explique que toute la ville soit bâtie sur une forte pente. De la Roussilhe ou de Saint-Jean, on voit clairement comme les terrasses successives forment un bel amphithéâtre, qui se resserre comme un entonnoir autour du ruisseau Saint-Jean et regarde en direction de Brive puis de la mer. La Basilique, la mairie, la sous-préfecture, le lycée, occupent l’emplacement privilégié des amphithéâtres grecs pour le spectacle : l’orchestre, au pied de la scène. C’est là que s’agitent les acteurs. En tout, prés de 100 mètres de dénivelé pour la partie urbanisée et 350 du point haut au point le plus bas de la commune. Un territoire bâti autour de 7 collines, dont une saillie volcanique au Puy St Mary, le mont sacré de la commune surmonté d’une chapelle, colline des grands pèlerinages à St Mary et des foires aux chevaux. Sous cette chapelle, une autre plus ancienne et sous celle-ci ? Probablement un temple gallo-romain comme souvent. Sur cette colline inspirée, pour reprendre la belle expression de Maurice Barrès ce vosgien originaire du Cantal, règne l’esprit. La cité dégage une impression d’austérité. L’hiver est silencieux, beau et long. La neige tombe en abondance jusqu’à un mètre à Salers. Le ciel est toujours bleu d’azur. L’été, brusquement, après un court printemps, tout s’anime et se colore. S’il vient la pluie, elle dure peu. On voit alors que le Mauriacois est homme du midi, car Mauriac est à la latitude de Grenoble et de Venise. On parlait encore occitan en 1970, avec un accent proche de l’accent de Tulle. Le folklore a été préservé par un remarquable groupe local mené par un leader inspiré, aidé de son épouse, deux instituteurs engagés dans la République tels les hussards noirs de Charles Péguy. Mais
c’est la
basilique Nôtre
Dame des
Miracles, qui m’a de
suite impressionnée. Elle
révèle la grandeur de
Mauriac au 12ème
Siècle. St Flour
n’était pas encore
évêché et
Aurillac une petite ville autour d’une abbaye. Un pape,
Calixte
II, a visité le
24 Mai 1119 le chantier incroyable d’un monastère
neuf et
de trois églises sur
la même place : Notre-dame des Miracles, St
Pierre de Mauriac et la chapelle Saint
Benoît. Le seul Pape venu à Mauriac. Les pierres
de grande
taille qui
composent la basilique sont
colorées. Le
rajout d’une flèche au clocher en 1385, de portes
d’apparat Renaissance en 1582
et de deux tours au 17è Siècle
l’a
embellie et agrandie comme une
petite cathédrale, avec un goût parfait, la
mettant hors
des proportions de la
vieille ville. Elle apparaît digne de son statut de
Basilique,
unique Basilique
du Cantal, instituée par le Vatican le 20 octobre 1821. A
l’intérieur, le visiteur est pris par le contraste
entre
la qualité
exceptionnelle de l’architecture et
l’obscurité typiquement romane,
recherchée dès l’origine.
Assis, on éprouve l’envie de se recueillir et de
prier, de
réfléchir à sa vie.
Quelle différence avec les autres
églises ! Elles
n’ont pas ce mystère,
qui vous saisit à Mauriac. Nulle part, on
n’éprouve
une telle impression de
gravité et d’arrêt du temps. Les
souvenirs de
jeunesse réapparaissent : la
communion, le confessionnal et sa pénitence à
genoux sur
un prie-dieu, la messe
en latin. Le monde ancien. En nous, l’enfant demeure. Tout
est
enregistré y
compris les odeurs et les sons. Un déclic et tout ressurgit. Les
yeux habitués à
l’obscurité, dans le
silence, la beauté du lieu et des ornements, le
mélange
de l’austérité du roman
et de la recherche d’effet propre au baroque, vous
transforment. Le
sentiment
d’éternité
ressenti dans la
basilique ne vous quitte jamais. Le temps suspend son vol.
Nôtre
Dame des
Miracles, lieu de grands pèlerinages à la Vierge,
bâtie sur le site de la
chapelle fondée au 6ème
S. selon la
légende par Théodechilde fille ou petite fille
de Clovis, est un temple habité par la plus haute
spiritualité. Si on croit, la
présence divine s’impose. Sinon, pour les autres,
la magie
des lieux opère. La Vierge
noire sculptée du 15ème
siècle,
venue du fond des âges, déesse
de la terre, au visage impassible et sévère,
noire comme
la vierge peinte de
Czestochowa chère au pape Jean-Paul II, contemple les
siècles avec sérénité. Le
mobilier, installé dans un 18ème
inspiré et faste, dresse un
décor superbe, qu’il s’agisse du
retable classique de marbre et de bronze avec ses quatre colonnes
corinthiennes,
de l’époque baroque et d’inspiration
antique,
d’une grande qualité artistique,
des retables latéraux très ornementés
avec des
colonnes torsadées inspirées du Bernin à Rome, des
stalles
ou de la chaire admirablement travaillée et baroque
également, avec sa grâce et
sa préciosité. L’ensemble est proche de
la
perfection. Les sculptures du haut
de la chaire sont dignes du baroque le plus
échevelé,
comme à Prague, par
exemple. Au sommet, un ange joue de la trompette , comme
s’il
annonçait déjà le
jugement dernier. Dressé sur
un
globe,
il reprend le thème et la figuration du
génie
grec ailé de la
renommée. La
Grèce
ancienne est très présente dans
l’église.
Les colonnes de la nef ne sont-elles
pas aussi imitées des basiliques romaines et reprises de
l’art grec. Le baroque
était une mise en scène
théâtrale voulue par
la papauté, orchestrée par l’ordre
des Jésuites, dans le cadre de la contre-offensive
menée
contre le
protestantisme. Conçu pour impressionner et
séduire, il
émerveille. Plus classique,
la rare cuve baptismale romane, les tableaux du 17ème,
la remarquable
vierge sculptée à
l’oiseau du 16ème flamand,
le grand
lutrin à l’aigle terrible, du 18ème. A
l’extérieur, un autre monde,
médiéval cette
fois. Le chevet porte d’étranges
sculptures coquines, d'inspiration celte, admises au 12ème
à
l’évidence comme une
dénonciation des vices humains, qui sont le sort de
l’homme depuis la
chute dans le
péché.
L’Enfer est là,
dehors. Le portail, languedocien d’inspiration byzantine et
d’une rare finesse
en Auvergne, unique dans le Cantal, comprend un zodiaque, inattendu
dans un tel
lieu. Le maître d’œuvre a repris des
croyances
païennes. Or, nous savons,
depuis peu, que cette mystérieuse religion des Celtes, non
écrite, avec son
clergé tout puissant et hiérarchisé,
était
un culte des astres, fréquent dans
les civilisations indo- européennes, plus qu’un
culte des
arbres, des éminences
et des sources, pourtant très présent. Les
druides, maîtres du temps, pratiquaient la
science de l’astrologie, comme en Orient, et regardaient le
ciel.
Le
christianisme est lui aussi un syncrétisme enrichissant.
L’emplacement
de Mauriac n’a pas
été sélectionné
au hasard. Il y a plus de 2000
ans, au
pied des montagnes, le long de l’axe historique de
pénétration du Cantal depuis
Clermont jusqu’à Aurillac, par l’ouest,
des hommes
ont choisi pour l’ habiter
ce lieu où jaillissaient des
sources
abondantes et bruissaient des torrents. C’est la
présence
permanente de l’eau
qui a donné à la bourgade son nom. En
celte, l’eau est mor (le Morbihan,
l’Armor), qui deviendra mori, entraînant
mer,
mare, marécage. Puis, après la
conquête romaine, qui fera la
fortune de la cité, Mauriat
sera Mauriac et
son ruisseau, le rieu Mauri sera encore mentionné sous ce
nom en
1882 avant
d’être rebaptisé ruisseau St Jean. Les
vestiges
gallo-romains répertoriés par
Delalo au tout début du 19ème
sont nombreux et étendus et
prouvent l’existence
d’une petite ville au 1er
Siècle. Plusieurs monnaies d’or mérovingiennes du milieu du 7èmè Siècle portent la mention « Mauriaco Vic ». Mauriac porte donc son nom bien avant l’incursion des Maures dits Sarrasins en 730 par l’ouest. C’est le vicus (bourg) de Mauriac. Cette monnaie d’or (triens), en trois exemplaires, bien datée par les spécialistes, est aussi une preuve de l’ancienneté du monastère. C’est probablement lui qui battait monnaie, dès le 7ème Siècle, son doyen ayant rang d’évêque et juridiction civile sur la ville et le nord Cantal. De toute manière, Mauriac ne peut devoir son nom aux Maures puisqu’on sait que les Sarrasins ne sont pas passés par Mauriac, pour rejoindre Poitiers en direction de Saint Martin de Tours mais par Bordeaux. Leur présence en Auvergne est donc hypothétique sauf par immigration ultérieure notamment à l’occasion des expulsions massives de la reconquista espagnole ou à la demande des moines qui accueillaient fréquemment précisent les historiens de petites colonies de maures venus d’Espagne et ayant le statut d'esclaves, pour cultiver leurs terres. Personne
dans les années 1970 ne parle du
monastère
bénédictin
Saint Pierre, peu connu y compris semble t-il des
Monuments Historiques. Même pas classé ni inscrit
même partiellement avant
1985. Il est pourtant bien visible sur trois
côtés. La
ville, ancien chef de prévôté,
dirigée par ses consuls depuis 1554, siège
d’une
Election, ignore son passé.
Impossible de savoir où officiait, avec ses bureaux, le
subdélégué de
l’Intendant d’Auvergne à Mauriac,
ancêtre
depuis 1707 du Sous-Préfet, ni
ce
dernier jusqu’à 1829. Il n'y a pas d'ouvrage uniquement
consacré à l'histoire de Mauriac. Un
premier regard sur cette histoire montre des moments
de
violence
inattendus pour une petite ville aussi calme. Les protestants,
que je
croyais pacifiques et pures victimes de
l’histoire, détruisent et tuent dans le Cantal
lors des
guerres de religion, de
leur propre mouvement mais il est vrai en réaction contre
des
persécutions
terribles en d’autres lieux. Ils saccagent et profanent les
églises, y compris
l’autel. Autre surprise dans le Cantal catholique, les
seigneurs
de la région
de Mauriac sont parfois au 16ème
Siècle des
protestants militants, comme à
Miremont par exemple. Un
prêtre a été
guillotiné à la Révolution,
derrière l’église, simplement parce
qu’il
avait fui en refusant de prêter le
serment au nouveau régime. Les clochers ont
été
abattus sur instruction nationale répercutée par
l’agent national du district Dominique Mirande, des
châteaux brûlés, des nobles
emprisonnés conformément aux ordres de la
Convention. Une
violence incroyable,
ici à Mauriac, paisible bourgade de 2500 habitants en 1792.
La
population ne
suit pas. Elle est de plus en plus hostile à la
Révolution. « Elle veut
des messes » écrit Mirande, très
désabusé.
L’élite est révolutionnaire et encore, mais pas
le peuple. Le contraire de ce à quoi on
s’attendait !
Thermidor puis
l’Empire sont accueillis avec soulagement après ce
moment
de folie nationale qu’a été la Convention. L’histoire
locale contredit souvent
l’histoire nationale et met
en doute
son authenticité. La révélaton c'est que les
troubles n'ont pas été que parisiens. A noter que le
sanguinaire conventionnel Carrier, l'homme des noyades en bâteau
de Nantes, était d'Aurillac, employé du père
de Mme d'Orcet, qu'il protègera après 1792, dans la
période noire. Pour l’esprit, le 18e appelle le souvenir du salon des lumières de la divine Mme d’Orcet et de l’œuvre extraordinaire de formation des Jésuites du Collège et des talents qu’il a révélés : Marmontel, la famille Chappe, les Delalo le grand- père Maire, son fils 1er Sous-préfet de Mauriac de l’an VIII et son petit fils deux fois Maire, Procureur puis enfin Président du tribunal Civil de Mauriac. Le meilleur historien de sa ville. Il faut se représenter alors Mauriac au début du 18e à la fois ville des lumières et centre de la foi catholique, avec ses deux grands pèlerinages régionaux à la Vierge et à St Mary et ses 60 religieux, 30 au monastère au début du siècle et plus de 30 dans cette institution curieuse des prêtre-filleuls, prêtres sans fonction attachés à la paroisse. En
face de l’hôtel d'Orcet, autre bijou le
lycée,
ancien Collège
de Jésuites,
l’un des premiers
en France, créé en 1563 avec l’accord
des consuls
de la ville, par testament de
l’Evêque de Clermont, fils d’un riche
Chancelier de
France, Guillaume Duprat.
Le bâtiment a été repris et
étendu au 18ème
Siècle, avec un rare
bonheur, au moment même où l’ordre, trop
puissant et
rattaché directement à
Rome, était dissous pour ces deux raisons par Choiseul,
à
la demande des
Parlements et de l’élite très
anticléricale
et franc-maçonne d’avant la
Révolution. Marmontel,
enfant pauvre de Bort-les-Orgues, originaire du Nord Cantal par son
père, y a
fait de bonnes études, qui ont conduit cet
encyclopédiste
à l’Académie, dont il
a été Secrétaire Perpétuel,
ainsi
qu’aux fonctions prestigieuses
d’historiographe
du roi et de directeur du Mercure de France. En
réalité,
c’est le théâtre et
l’opéra qui le passionnaient. Les actrices et les
chanteuses aussi. Comme toute
l’élite, il est passionné par le
merveilleux
opéra napolitain, seul opéra
écouté
dans la deuxième partie du 18ème
siècle. Au nom des encyclopédistes,
il appelle en France le
grand Piccinni
pour l’opposer à Gluck l’allemand,
protégé de Marie-Antoinette. Il écrit
des
livrets. Ses mémoires sont une mine de renseignements sur
l’époque et sur son
ascension. En fait, les jésuites, succédant aux
bénédictins grands maîtres du
savoir au moyen âge, dispensaient
jusqu’à la classe
de rhétorique puis de
philosophie, à des enfants de paysans sans ressources,
sélectionnés pour leur
aptitude à l’étude, une
éducation hors pair.
Un grand nombre a fait carrière
hors et parfois contre l’église. Fils
d’un tailleur
rural, Marmontel, sans
aucune protection ni ressources est devenu l’un des
personnages
les plus
influents de France. Bien plus qu’un comte ou un duc. Les
encyclopédistes
étaient avec les artistes, les vrais rois de
l’Europe.
Tocqueville écrit que
les hommes de lettres devinrent au 18ème
siècle, les principaux
hommes politiques du pays et de cette politique littéraire,
de
ce gouvernement
des philosophes, il est
résulté la
Révolution
déjà en place, préfigurée. Autre
élève, mauriacois pur celui là, Jean
Chappe
d’Auteroche, astronome, membre de
l’Académie des sciences, parti observer en 1661
Vénus en Sibérie et connu de
notre époque par un curieux
ouvrage
pour
un astronome, écrit en 1668, après son retour. Il
y
dresse un tableau
épouvantable de l’état social de la
Russie. Un pays
barbare, arriéré, inculte,
encore au pire moyen âge ! Colère de
Catherine II,
adepte des lumières,
encensée par Voltaire et Diderot, qui avait cru donner le
change
en Europe.
Chappe évoque le servage. Véritable tyran en
réalité, on disait alors avec
admiration despote éclairé,
l’impératrice,
grande souveraine, passionnée d’art
et de littérature, très cultivée, et
mécène habile par surcroît, offrait
fréquemment comme cadeau des esclaves, à titre de
main
d’oeuvre gratuite. Il
était habituel de recevoir 1000 ou 2000 serfs en
récompense d’un service. Folle
de rage qu’on ose critiquer sa Russie, Catherine
rédige en
1770, de sa main
principalement et en
Français
choisi, « l’Antidote ou examen du mauvais
livre
intitulé Voyage en Sibérie
fait sur ordre du roi ». Un ouvrage vient de
reprendre en
2003, le récit
et la réponse impériale, avec une
préface
d’Hélène Carrère
d’Encausse,
Secrétaire perpétuel de
l’Académie
Française. Voilà l’abbé
Chappe
célèbre,
moins toutefois que ses deux neveux, les frères Chappe,
également originaires
de Mauriac, nés après expatriation de leur
père
dans la Sarthe actuelle, qui
inventeront le télégraphe sous la
révolution et cacheront
leur
particule, assumant à tour de role la direction de la poste. Célèbre
aussi le
Cardinal Jules
Saliège,
archevêque de Toulouse, chrétien social du Sillon,
seul
évêque à dénoncer avec
vigueur par sa célèbre lettre du 23
août 1942, lue
en chaire solennellement dans
tout le
diocèse, la déportation des juifs
sous l’occupation (Tout n’est pas permis.., ils
sont nos
frères…). Pierre
Queuille, pivot de la IVème République
radicale,
plusieurs fois
Président du Conseil,
médecin né en Corrèze, est originaire
de Mauriac,
ville du compromis et de la
prudence. On ne dit jamais ni oui ni non à Mauriac. D’entrée, la sous-préfecture ne déçoit pas. L’ancien Hôtel d’ Orcet est un bijou architectural attachant, avec un salon 18ème comportant deux superbes et grandes tapisseries d’Aubusson, d’époque, sur des cartons d’Oudry, représentant des jeux galants. Il s’agit de la main chaude et du cheval fondu. On voit une femme qui a devant elle un personnage à genoux, un jeune homme, qui se cache la tête dans son giron. Il tient la main ouverte dans son dos et s’apprête à recevoir des coups dans cette main jusqu’à ce qu’il devine qui le frappe. Il aura alors la main chaude. Autour, dans un jardin, d’autres personnages bien mis, participent au jeu. Ils incitent par gestes une dame à taper la main. Regardant tous les jours, pendant 3 ans et demi, cette tapisserie très colorée, j’ai toujours eu envie d’y entrer et de jouer aussi. Quand au jeu du cheval fondu, il consistait à sauter sur le dos de joueurs courbés à cet effet. On ne sait rien de plus. L’Hôtel
d’Orcet est un lieu hanté par le souvenir
d’une
femme remarquable, qui a tenu un salon
renommé, fréquenté par
l’élite
locale férue de changement, de sciences et de nature. Cette
élite qui avec la
noblesse déclenchera la Révolution ;
Révolution déjà accomplie dans les
esprits depuis longtemps pour Tocqueville. Madame Jeanne Marie de
Vigier
d’Orcet, née Delsol, fille de Procureur,
était la jolie veuve, depuis
1774, de
Gabriel-Barthélémy
de Vigier d’Orcet, Receveur des Tailles, promu
Secrétaire
du Roi, brillant fils et petit
fils de
Subdélégué
d’Intendant à Mauriac. Elle occupait cette belle
demeure,
que son mari lui
avait léguée, faute d’enfant. Riche
veuve,
libertine et femme intelligente,
très influente dans ce siècle des femmes, aimant
les
animaux dont elle est
entourée en permanence, suivie d’une biche, elle
s’éprend à plus de 70 ans
d’un
jeune officier cultivé du service de remonte, de 37 ans,
venu de
Grenoble,
qu’elle épouse en 1813, Pierre Joseph Grasset. Son
portrait est en Mairie et
met en valeur le beau visage plein de finesse
d’un homme élégant et
distingué. La
sagesse des Mauriacois L’Espagne
a toujours été très
proche du Cantal. Les Cantaliens dès lla fin du Moyen Age y
allaient l’hiver pour rechercher un
revenu de complément
puis à temps plein. Il est probable que s’est
produit un
mouvement d’émigration
inverse, après 1492 notamment, qui explique le Maure en
tête, comme en Corse,
puis en pied récemment, qui figure sur les armes de la
Ville. Un
Maure
mystérieux dont l’origine n’est pas
forcément
africaine puisqu’on trouve un
chef très noir sur les armoiries de
l’évêque
de Munich, appelé tête de Turc,
souvenir des Wisigoths, des croisades ou des attaques ottomanes contre
Vienne.
A partir du 19ème,
les Mauriacois
préfèrent Paris en plein développement.
D’autres
cantaliens sillonnent la France pour vendre de la toile et du drap
comme négociants
voyageurs. Les bons élèves peuplent les
administrations,
excellents
fonctionnaires. Pour le comportement, la prudence est la règle dans les rapports humains. Chacun cache ses moyens, car susciter l’envie ne pardonne pas. Pas d’orgueil ni de parade. Peu de grosses voitures et pas de vêtements coûteux. Jamais chez les gens fortunés. Il y en a peu il est vrai sauf chez quelques auvergnats de Paris. Et pourtant j’entends souvent dire « le Cantal est pauvre, les cantaliens sont riches ». On ne dit jamais non à personne, pour ne pas blesser. Un silence est presque un non, en réponse à une proposition. Il ne faut plus y revenir. On ne dit pas davantage oui, car le contexte peut changer. J’ai beaucoup appris. Il faut écouter, y compris les silences et savoir anticiper. Personne ne crie car cela ne sert à rien et porte tort. Quelle sagesse. L’entraide familiale très forte évite la pauvreté. Il est vrai qu’on y vit avec peu car l’Auvergnat a fait sien le précepte fondateur du Bouddhisme, qui enseigne que la maitrise des besoins et des désirs est la condition du bonheur et le secret de la vie. Beaucoup de cantaliens se satisfont de ce qu’ils ont, ne se plaignent jamais et préfèrent vivre au pays que gagner plus ou avancer dans la fonction publique, ailleurs. Partis, ils reviennent. Les Mauriacois adorent leur ville, de la manière dont Péguy aimait la cathédrale de Chartres, charnellement, « depuis le ras du sol jusqu’au pied de la croix ». La
religion a une grande place dans la vie des cantaliens, au moins
formellement. Des
anti-cléricaux font baptiser, communier leurs enfants et
célébrer mariages et
enterrements à l’église. Les
communistes ruraux
cantaliens ne manquent pas la
grande procession de Notre-Dame et leurs enfants fréquentent
parfois l’école
privée. Ils aiment
l’efficacité et
animent avec dévouement de nombreuses associations, alors
que
les militants
socialistes s’engagent peu, sauf dans les
municipalités.
Beaucoup de
pratiquants votent à gauche et déjà le
clergé n’est plus tout à droite.
Clergé
qui se signale déjà par la liberté de
comportement
de ses membres et la
modestie de son revenu malgré un dévouement
total. Ce
clergé rural si humble,
si désarmé, ne justifie plus
l’anticléricalisme qui règne
encore en
France. Inexplicable autrement que par l’importance
considérable de l’histoire dans
notre pays.
Les gens sont très informés de tout. Un bruit circule en 2 heures dans toute la ville. Les cantaliens lisent de prés et entièrement les pages locales de la Montagne et observent inconsciemment les mouvements, les voitures, les relations des gens entre eux, les changements de comportement. Par recoupement et déduction, ce qui m’a toujours stupéfié, ils devinent la réalité, même cachée, des choses et des gens. chacun connait tout le monde en détail. Leur jugement est solide, profond, toujours étayé. Impressionnant ! Ils connaissent parfaitement la valeur des gens en reprenant les filiations. On dira de Mme x qu’elle est une fille untel. Ah alors tout s’éclaire ! pas la peine d'en dire plus, chacun connait toutes les souches familiales. Difficile de tromper son conjoint localement. il y aura toujours quelqu'un qui dira qu'on a vu sa voiture derrière la maison de Jeanne ou de Pierre. La société est très égalitaire dans les comportements. Le prestige va aux professions libérales qui ont le meilleur revenu et les diplômes. Le médecin particulièrement est le roi des cantons ruraux. Rien de plus aisé que son élection comme maire et conseiller général. Les fonctionnaires sont traités avec le respect d’autrefois mais enviés. Il y a beaucoup de jalousies en milieu rural. Les jeunes actifs quittent la région car il n’y a que peu d’industries et de services et guère de possibilités d’avancer ou de prospérer. Ils ne reviennent plus au pays comme autrefois dans la maison familiale, souvent abandonnée. Mon secrétaire en chef, Abbadie, me propose d'apprendre à jouer au tennis et au bridge avec une petite équipe comprenant Michel Vernier, assureur, leader attachant du groupe, Président du club de Tennis, le Dr Durand, chirurgien à l'hopital, le Dr Cros de Salers, Jean Fabre, chirurgien-dentiste, Charles Cros, commerçant, Neyrat, proviseur du lycée et mon collaborateur Abbadie. Je me suis joint à cet état major du Rotary local, souvent plaisanté par Chauvet et ai même perfectionné mon mauvais ski avec Vernier, Fabre et Strassen, l'inspecteur des impots, surnommé dans Mauriac "la vache qui rit" car il était toujours souriant. L’accueil fait au Sous Préfet est plus que chaleureux. Il doit aller partout y compris dans les gros villages car, dans le Cantal, c’est le village qui compte plus que la commune. Il est fréquent que les villages soient plus importants que le bourg chef-lieu. Ce qu’attendent les élus, c’est que le Sous-Préfet soit sur place, au contact, ce que prescrivent les instructions, dès l’an VIII. Les maires veulent de l’aide rapide et cette reconnaissance officielle qu’apporte la visite préfectorale, surtout avec presse. La visite du Sous-préfet c’est la fête dans la commune. Parfois le Maire a rassemblé la population sur la place et il a en poche un grand discours écrit auquel il faut répondre. Trop d'humour est déconseillé en Auvergne pays qui attend tout des représentants de l'Etat. Dans le Cantal, l’opinion veut des résultats concrets et pas des exercices d'éloquence. J’ai retenu cette expression locale, péjorative, applicable notamment aux fonctionnaires peu estimés : «grand diseur, petit faiseur ». Visiter les 61 communes de l’arrondissement a été une joie sans cesse renouvelée et un excellent investissement à tous égards. On apprend vite à improviser. Travail et plaisir se confondaient. A cette époque, il était quasiment obligatoire d’assister à tous les comices des 6 cantons, avec repas, ainsi qu’à tous les banquets de sapeurs-pompiers, en plus des multiples inaugurations. Les repas comportent 5 ou 6 plats. La viande de Salers a beaucoup de goût et le fromage du même nom délicieux, surtout prés de la croûte, en particulier le cantal fort fabriqué dans les fermes. Il n’y avait que peu de dimanches libres. Je plaide coupable. J’ai gâché le métier en allant partout comme dans un jeu. Cela ne se fait plus du tout. J’aimais particulièrement les comices de la race Salers, la vache rouge à la belle allure noble. Le jury parcourrait les allées pour classer les bêtes nettoyées et brossées, selon des critères de bonne conformation. En tête, les formes régulières, quasi géométriques. Le palmarès était parfois contesté. Le canton assistait en entier à la proclamation. Un rituel sacré, presque une messe, dans un département voué à l’élevage depuis plus de 2000 ans. Après la proclamation, le long repas officiel et ses nombreux discours au dessert. Certains cantons avaient deux comices. J’ai
adoré mes fonctions et crois avoir été
utile. Plus
de 30 ans après, je me
reproche d’avoir manqué de recul,
m’identifiant trop
personnellement à ma
fonction et à la cause du Cantal, en oubliant que le
métier de Sous-préfet n’a
pas prévu autant d’autonomie, ni de se transformer
en
super Conseiller Général,
animateur en chef, chef d’une principauté. Je
l’ai
compris plus tard. Mais
l’aveuglement n’est-il pas une condition du bonheur
et de
la réussite ? En fait, il y a de nombreuses manières d’être Sous-préfet : administratif, conseiller, organisateur, prestataire pour les communes, coordonnateur interministériel, culturel, économique, social, développeur, animateur, etc. Il n’y a dans cette fonction ni règles, ni directives, ni passage de consignes. La liberté, qui découle de la marge d’action considérable des Préfets, qui est inimaginable dans un pays que l’on décrit obstinément comme ultra jacobin, est bien plus grande qu’on ne le croît. Il faut réussir et rendre compte. Réussissez, improvisez et ne faites pas d’incident, en soutenant le gouvernement , est le véritable mot d’ordre du ministère qui ne demande rien et prescrit peu Personne ne demande en particulier à un Préfet ou à un Sous-préfet de faire de la politique. Pour un Sous- Préfet, il convient de ne pas oublier que le Préfet note ses collaborateurs, souvent d’une manière affective, et que, secret d’Etat, au ministère le corps gère le corps pour l’essentiel. Le ministère n’aime pas les fonctionnaires qui font trop de politique ni les ego hypertrophiés et déteste les interventions de parlementaires, qui ont souvent un effet inverse du but recherché. Il y a évidemment d’autres moyens de se faire remarquer à Paris. Avoir un Préfet en cour qui vous estime et accède à l’un des 3 ou 4 postes clés de la place Beauvau est préférable à tout, y compris aux cabinets ministériels. L’excès de politisation de la fonction porte souvent tort dans les carrières. Il faut savoir faire et faire savoir selon la formule et toujours respecter les usages républicains et les procédures. Un autre secret, apprendre à formaliser son action et l’habiller d’un manteau irréprochable, dans des commissions par exemple. On peut changer la règle mais il y a toujours des principes : respecter les fonctions et la légalité, rechercher le consensus et savoir écouter avec courtoisie et respect. Quel corps d’administration de l’Etat offre autant de liberté et de possibilité de s’épanouir à ses membres que le corps préfectoral ? Le poids des Préfets en 1970 est capital. Appuyés sur de remarquables fonctionnaires des préfectures et des services de l’Etat, ils arbitrent, avec le Président du Conseil Général, le Sénateur, diplomate habile et subtil, Jean Mézard, les conflits et aident à dégager des priorités toujours disputées. Jacques Corbon, ancien du cabinet de Georges Pompidou, nommé Préfet à 37 ans, charme et tranche, attaché à convaincre. Rien ne lui résiste. Il a ses réseaux à Paris, ce qui est essentiel pour le Département, qui ne l’oubliera pas, tout comme son prédecesseur le sévère Pierre Paraf qui a impressionné les cantaliens, créant avec audace la station de ski du Lioran. Laurent Clément apprend à ses jeunes collègues la sagesse des anciens, qui savaient que "beaucoup de problèmes compliqués se règlent tout seuls en patientant" et que "on ne gagne pas toujours à être connu". Ou encore que pour être apprécié de ses interlocuteurs, il vaut mieux parfois ne pas trop connaître le sujet. En pratique, il est toujours judicieux de ne pas parler et d’apprendre tout de son interlocuteur. On ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens disait Retz, ce maître des décideurs. Laurent Clément aimait rappeler le vieux précepte radical de la 3ème République : "la justice pour tout le monde, les faveurs pour les amis" que je connaissais déjà depuis mon passage au cabinet de l'Intérieur en 1965, tout comme le célèbre et subtil "mon prédecesseur un incapable, mon successeur un ambitieux" à vocation générale et toujours en vigueur. En vertu du 1er principe, Raymond Marcellin en 1971 attribue la croix du mérite à son ancien Chef adjoint de Cabinet. Le corps préfectoral, par sa compétence, ses contacts et son itinérance, apporte une contribution reconnue au développement des départements ruraux. Il amène les bonnes idées de l’extérieur en aidant à les adapter malgré les réticences locales. Ce sont des Préfets qui ont convaincu les cantaliens, parfois difficilement, que le tourisme ne remplace pas l’agriculture mais qu’il est en plus et que la culture, alors dénigrée, est un outil de développement et d’image. Chargé de l’opération châteaux en Auvergne pour le Cantal, je constate que cette action exemplaire de mise en valeur du patrimoine à des fins touristiques, porteuse d'une nouvelle image pour le Cantal, est considérée comme un gadget. Elle ne sera pas reprise malgré son impact. La politique dont le corps préfectoral doit informer le gouvernement, dépend de principes simples. Chaque zone a sa couleur et la conserve à long terme. La bordure corrézienne est plus à gauche que les monts du Cantal, depuis la révolution. Les fils votent comme les pères. Il y a un vote familial. Un canton est de droite ou de gauche depuis 200 ans. Le changement vient de l’abstention et du charisme des acteurs. Les enseignants et les fonctionnaires sont engagés en milieu rural. Le facteur religieux est important. Le maire de St Martin Valmeroux, le Dr Calsac, socialiste humaniste tolérant, m’explique qu’à St Martin, il existe depuis toujours le camp de l’église et le camp laïque. La bataille est acharnée et son résultat changeant. Pourtant dès l'élection passée, le calme revient et administrer la commune ne pose aucun problème. Beaucoup d'élus sont de bons stratèges et m'expliquent par exemple qu'une bonne liste doit comprendre un membre de chaque grande souche familiale de la commune. Certaines grandes familles à Mauriac comptent plus de 200 membres sur une population de 4000 habitants. En prenant sur sa liste un seul membre, le Maire gagne les voix de la famille sauf quelques grognons et les jaloux. Ma première
visite d’élu fut pour Augustin
Chauvet, Maire de
Mauriac et
Député
d’Aurillac, homme de 70 ans à la
forte personnalité, connu pour son activité
inlassable et
ses dons de
communication. Il est populaire dans tout le Cantal. Elu de Mauriac
depuis 1965
après l’avoir été
d’Anglards de
Salers, il a multiplié immédiatement les
réalisations, conseillé par un excellent
ingénieur
subdivisionnaire de
l’Equipement, Forgereau. Avec son aide, il
définit, de son bureau , une nouvelle cité et
développe
considérablement l’accession sociale à
la
propriété, en pavillon HLM individuel
grâce à une géniale
coopérative
départementale, le Foyer Cantalien,
créée et
présidée par lui. Il est également
président du Herd Book de la race de Salers. Plus de 300
familles modestes de
Mauriac, ville de 4000 habitants, deviennent propriétaires
d’un pavillon et
d’un terrain. Etrange
paradoxe, cet homme de fer, classé à droite, en
réalité radical de la IVeme,
propriétaire d’un hebdomadaire tiré à
7000
exemplaires et bénéficiaire, le
Réveil de Mauriac, est
vénéré par la
population qui approuve son action,
incontestable, mais est critiqué par certains . Il en
souffre mais rend la monnaie,
dans
une de ces campagnes
permanentes dont il a le secret.
Astucieusement, il se dit en butte à une cabale du
Rotary, résurgence locale des 200 familles d’avant
guerre,
dont il fait un épouvantail rhétorique. En fait, la
moitié du Rotary est pour
lui
et l’autre
moitié trop occupée par sa profession fait peu de
politique, mais la méthode
lui réussit. Elle
faisait
déjà fureur à Athènes et a
un
présent et un avenir considérable. Chauvet est un adepte
de la
théâtralisation, principe
essentiel de la politique et de la communication. Force
de la nature, il rend de multiples
services. Son système d’intervention est unique.
Chaque
lettre au Ministre est
un modèle d’habileté politique,
comportant la
requête et un message implicite
pour le demandeur, qui en reçoit une copie
annotée
personnalisée qu’il conserve
précieusement car elle mentionne ses qualités,
ses
titres, sa place dans la
société et ses liens
privilégiés,
affectifs, avec le Député.
Génial ! Ce
que la plupart des parlementaires confient à un assistant,
Chauvet le dicte
lui-même. Il y passe des heures. Il sait ce qui compte,
l’attention aux
personnes. Pour le Foyer Cantalien il parcourt le
département,
choisissant les
terrains des futurs lotissements avec le maire, recevant les candidats
à un lot
ou à effectuer des travaux. Sa
carrière n’a pas été facile.
Battu en 1951
et 1954, élu Député de 1956
à 1978, il
ne la doit qu’à sa
persévérance.
C’est un homme hors du temps, au physique de taureau. Il
porte un
prénom
antique, Augustin, et constamment il cite, dans leur langue, les
auteurs latins
qu’il affectionne et de vieux proverbes français,
tirés de la sagesse
populaire, comme celui-ci, qui est
terrible : « Oignez
vilain, il
vous poindra, poignez vilain, il vous oindra ». Du
Nietzsche avant la
lettre. La gentillesse paye peu. La force plaît.
Hélas, ce
proverbe du moyen
âge est parfois juste, au-delà des
vilains, les non-nobles !
Voué à la gentillesse permanente,
je ne l’ai compris que bien plus
tard.
Un maintien sévère impressionne. Il cite aussi Victor
Hugo en
latin : «
Ad Augusta per angusta » : vers les
sommets, par des
sentiers étroits.
Une belle devise pour un homme politique, celle des conjurés
d’Hernani. Il est
craint mais cela n’empêche nullement les Mauriacois
de
critiquer ses grands
projets. C’est la règle, tout est
critiqué
férocement, puis ensuite admiré.
Chauvet s’en amuse en disant que pour lui, plus un projet est
attaqué, plus il
sait qu’il est bon. Il vaudrait mieux ne pas trop en
faire pour durer.
Les Maires le savent. La prise de risque est mortelle. Voilà
pourquoi on ne
cherche pas toujours à faire venir des entreprises nouvelles
dans le
Cantal. Trop
difficile. Mais Chauvet est tenace. Son courage fait des
émules. Il a des résultats incontestés tout comme
le Dr Julhes à St Flour, son grand ami. Il fait des envieux. Certains prennent ombrage de sa réussite politique exceptionnelle, d'autant plus qu’il s’identifie à Mauriac. Or, le Cantal comme partout est l’objet de rivalités. Rivalités des hommes, mais aussi rivalités entre pays et communes. Géné, recevant les confidences de tous côtés et feignant de ne pas entendre, je constate dès mon arrivée que certaines petites villes n’aiment pas la ville sous-préfecture, quelles devraient appuyer au contraire. Mais à leur tour ces cités sont mal aimées de leurs voisines de canton. Et partout ainsi. En fait, il y trois mondes différends dans l’arrondissement : au sud le pays de Mauriac avec Pleaux et Salers, au nord celui actif de Riom Es Montagnes et, paradoxe, le Pays corrézien de Bort les Orgues, qui rayonne sur l’Artense, Ydes, Saignes, Champs et Lanobre. Mauriac n’aime pas trop Saint-Flour et cette dernière lutte avec Aurillac, ville promue par la Révolution qui lui a ravi alors la primauté. Le travail du Conseil Général n’en est pas facilité. En fait, il est obligé de répandre ses crédits car chaque élu influent intervient pour son canton, compare et proteste parfois. Impossible pour lui de faire autrement. C'est le jeu normal dans les assemblées. Les Préfets autoritaires d’avant la décentralisation avaient du bon à cet égard pour imposer l’intérêt général ! Le Député de St Flour Mauriac, ancien suppléant de Georges Pompidou, Pierre Raynal, grande figure morale du Cantal, gagne en influence. Chauvet l’estime. C’est un homme qui écoute, parle peu et dont la nature est modeste, ce qui est capital en politique où l’on déteste les orgueilleux. La fierté tue en politique. Il tempère déjà les ardeurs des élus redoutables de l’arrondissement de St Flour, qui ne reconnaissent pas Aurillac et négocient en forçant la voix, à la manière m'a t-il semblé typique du monde rural. Il jouit d’un respect unanime et sera plus tard un excellent Président du Département, dominant une assemblée où chacun estime avoir vocation à être parlementaire, comme s’il y avait un tour, à l’ancienneté, ce dont chacun est persuadé. Un cas particulier, Jean Cipière, seul élu communiste, qui a choisi l’humour. En commission ou en séance, s’il doit s’absenter, il dit autour de lui à mi-voix, comme en secret : « il faut que je rende compte à Moscou ; pour nous c’est la règle, comme vous savez ». Il est adoré et toujours réélu dans son canton de Maurs. Dans un département rural, le Conseil Général fait la loi et contrôle les choix de personnes. Le Conseiller Général est incontournable en secteur rural. Beaucoup d'élus, admirables, sont de fortes personnalités et tiennent leur canton à bout de bras, défendant avec vigueur la difficile cause rurale et les valeurs cantaliennes. Tel
est le cas de mes six conseillers généraux: le Dr Jean Paul Cellier
conseiller général de Champs, maire de Lanobre, médecin à
Bort, un fin politique, conteur d'histoires, homme vivant et chaleureux, radical chiraquien; le Dr
Georges Godenèche, maire de Riom es Montagnes, ville dynamique,
élu de grande classe, RPR; Espinasse, exploitant dévoué
à son canton, centriste; Pierre Charlanne, conseiller général de
Mauriac, RPR, exploitant contesté, par Chauvet notamment, qui lui est
conseiller général du merveilleux mais peu peuplé canton montagnard de
Salers; enfin Jean Chanut, RPR, conseiller général très
politique et très craint de Pleaux, canton près de la
Corrèze et pas éloigné d'Aurillac. Georges
Pompidou à Mauriac C’est tout le Cantal. Il n’a pas assez de projets travaillés, disposant de peu de services d'étude, trop fermé sur lui-même et il dépense son énergie dans des combats de territoires et surtout d’hommes. Il arrive que des élus mènent de grandes batailles médiatisées dans la presse locale, pour défendre des causes, réclament des investissements inenvisageables et gaspillent leur crédit. C’est donc le Préfet qui fait les choix raisonnables après avoir dégagé un accord des grands élus. Il n'y a pas assez d’initiatives d’ordre économique y compris dans le domaine de la transformation de la viande, ce qui est paradoxal. Le bétail quitte sur pied le département au stade du broutard et est engraissé ailleurs, notamment en Italie. Pour le lait, chacun canton défend sa petite coopérative. Mauriac n’a pas réussi à implanter comme Riom une unité laitière de bonne taille. Aucun opérateur viande n'existe dans l’arrondissement, ce qui traduit sa faiblesse en hommes d'entreprise. Dans la salle de l’école maternelle, la
mairie
fissurée depuis
longtemps étant en travaux, Pompidou
évolue, très simple, parlant à mi-voix
comme entre
vieux amis. Il regarde
partout et son regard bleu est insoutenable, comme un rayon laser. Je
n’ai
jamais vu un tel regard. Il inspirait la crainte. L’homme
d’un tel regard ne
pouvait pas être un tendre, malgré son air
bonhomme.
C'est cet homme aussi qui a initié le
TGV,
Airbus, l'aménagement du territoire, le
premier
ministère de l'environnement,
l'indépendance
énergétique, industrialisé la France, mis le
budget en équilibre en 1970, etc. Le chômage est alors
très inférieur à un million de personnes, le taux
de croissance est de 6 %. Une
ère de
bonheur! L’essentiel est qu’il annonce dans son allocution le CET demandé, futur LP, et un nouveau tracé rapide de la RN 922, plus court de plusieurs kilomètres, très coûteux dans un relief difficile. Gagné! S’adressant à Chauvet, il lui a dit en préambule, avec sa voix de fumeur de Winston et un sourire malicieux : « Monsieur le Député, tout le monde, il est beau, tout le monde, il est gentil », reprenant le titre du film tout récent de Jean Yanne. Il connaissait le style Chauvet, dont tout discours comportait au moins un hommage personnel: aux gendarmes, aux pompiers, aux maires, aux éleveurs, aux agents de l'équipement, de l'agriculture, les instituteurs ... Des hommages bien reçus. J'en ai tire la leçon pour mes allocutions, plutot que de chercher à briller, ce qui agace tout le monde, il vaut mieux que le représentant de l' Etat remercie, félicite et fasse court, ce qui est toujours difficile dès qu'on a pris l'habitude de parler en public. Il n'est pas nécessaire de tout dire sur un sujet. Ecouter est bien mieux. Ce
que j’ai appris en Corrèze auprès de Jacques
Chirac, a
été appliqué dans
l’arrondissement. Susciter des projets dans chaque commune
après visite sur
place et les financer, alors que le Cantal a accès
à des
crédits hors dotation
nationale, a été passionnant. Peu de projets
alors, sauf
à Mauriac et St Flour.
Peu de demandes de crédits. Incompréhensible, le
cantalien est prudent et craint
la critique, impitoyable en cas d’échec !
En 3 ans et
demi de présence,
tout l’arrondissement a été en
mouvement et a
été transformé pour 10 ans en
laboratoire de rénovation rurale et en machine à
demander
des subventions dans
toutes les directions, avec lobbying des parlementaires et appel,
entendu,
à
l’Elysée. A cette époque heureuse
d’abondance
incroyable des crédits d’Etat, ce
jeu est facile et gratifiant pour tous ses acteurs. Il suffisait de
demander par le bon canal. Les élus de l'arrondissement
ont vite compris. Jacques
Chirac suit de
prés le
Cantal
pour le Président et appuie les demandes avec son
efficacité habituelle. Il est
porté par le plan de carrière secret que lui a
dessiné le
Président
Pompidou dès 1971 :
aprés le Budget
à 36 ans, Ministre du Parlement, Ministre
de l'agriculture,
Ministre de l’Intérieur, Premier Ministre. Tout
sera
réalisé.
Pompidou avait jugé l’homme qui dispose d'une
capacité d'analyse et de décision peu commune
et
dominera les circonstances et les oppositions de
tous ordres . Rien ne l'arrêtera en
dépit de pronostics toujours déjoués. Jacques
Chirac n’est qu’en apparence
facile à comprendre. Il cache ses vraies pensées
et même ses collaborateurs
ignorent ses plans à long terme. Habile politique, il joue
la simplicité, alors
que l’homme est au contraire complexe. Il a toujours
refusé de se transformer
en acteur professionnel, loin d’un naturel qui l’a
pourtant souvent desservi. Or la presse veut du spectacle. Elle aime
les acteurs et veut qu'on en change souvent, se lassant rapidement des
meilleurs. Certes, tout le monde politique croît dans l'avenir de cet animal politique remarquable qu'est celui que les Corréziens appellent avec admiration et affection, le grand Jacques. Mais personne ne peut pressentir alors que le jeune Ministre sera Président-fondateur du RPR, deux fois Premier Ministre, trois fois Maire de Paris, imbattable avec deux victoires absolues dans 20 arrondissements sur 20 ce qu'on ne reverra plus jamais, et enfin Président de la Répiblique réélu. Depuis 1958, Le gaullisme domine l’arrondissement et tout le Cantal. Jacques Chirac est très populaire et son passage à l’Agriculture marquant. Il a fait reconnaître les handicaps des zones de montagne et protégé les agriculteurs. Aussi les deux Députés figureront-ils dans les 43 Députés UDR qui appelleront à voter Giscard d’Estaing, dés le 1er tour en 1974. Ils l’ont fait d’autant plus naturellement qu’ils désapprouvaient la manière Chaban-Delmas et son rôle politique dans la IVe. Peut on rappeler que le Général de Gaulle n’a pas attribué de grand poste ministériel à celui qui passait pour l’un de ses principaux lieutenants. Il n’a jamais envisagé de nommer Jacques Chaban-Delmas Premier Ministre, même après Pompidou, en 1968. Chauvet en 1974 me fait un joli cadeau à mon départ pour la Sous-Préfecture de Sedan, ville de 25.000 habitants. Il organise une grande réception en mairie. Tous les élus de l’arrondissement sont présents et je suis triste de devoir partir. Le séjour de Mauriac va marquer ma vie. Tous les ans, j’y fais un passage, l’été et rencontre Augustin Chauvet, Pierre Raynal. Plus tard le destin m’y ramènera comme élu sans que je l’aie cherché, en vertu du principe défini par Chateaubriand qu’une vie n’est faite que de circonstances. Le même destin me ramènera aussi auprés de Jacques Chirac à son cabinet de la Ville de Paris, peu de temps aprés avoir été trois ans chef de cabinet d'Alain Peyrefitte Garde des Sceaux. Grisé
par la joie
unique
et quasi sensuelle qu’apporte l’action, cette
drogue, et le
pouvoir sur les
hommes, si minime soit-il, je ne sais pas alors que la petite gloire du
Sous-Préfet
est éphémère et j' ignore la règle de
l'humilité , que je n'ai comprise que très tardivement. A
la retraite, je vois maintenant bien tardivement toutes mes erreurs.
Pas de doute le pouvoir, même petit, énivre! On ne se voit
pas. N.B : Autre essai du même auteur, dans un tout autre domaine, l'Opéra Napolitain du 18ème consultable sur le site www.operanapolitain.com Carrière d' Alain Goldfeil: 1969, directeur du cabinet du préfet de la Corrèze; fin 1970: sous-préfet de Mauriac; Juillet 1974: sous-préfet de Sedan; 1977, chef de cabinet du ministre de la Recherche; 1978, chef de cabinet du Garde des Sceaux, ministre de la Justice ( Alain Peyrefitte); 1981, détaché à la ville de Paris; 1984, sous-directeur; 1986, directeur, chargé de mission auprès du Maire de Paris ( Jacques Chirac); 1992, directeur général de la ville de Paris. Fonctions électives: Maire de Mauriac de janvier 1984 à 2001; conseiller régional d' Auvergne de 1992 à 2004. Membre du Comité des Régions de la CEE de 1994 à 1998 et du Comité de Décentralisation ( DATAR ). Commandeur de l'ordre National du Mérite. |